09.
Vers midi, quand Ari arriva devant sa chambre d’hôtel pour récupérer ses affaires, il vit que la porte était entrouverte. Peut-être la femme de ménage… Lentement, il la poussa du bout des doigts.
Le lit était encore défait, les volets fermés. Il fit un pas en avant. Il entrevit alors son sac posé par terre, grand ouvert, et toutes ses affaires étalées autour. Sans un bruit, il avança dans la pénombre et s’approcha de la salle de bain. Le cœur battant, il se pencha pour jeter un coup d’œil à l’intérieur. Personne.
Il relâcha ses muscles et alluma la lumière. La chambre affichait un sacré désordre. On avait soulevé le matelas, ouvert les meubles et fouillé ses effets personnels à la va-vite. Quelques minutes avant qu’il n’entre, probablement.
Sans hésiter, il saisit son sac, fourra tout en vrac dedans, sortit de la chambre et courut à la réception.
— Vous partez ?
— Quelqu’un est venu dans ma chambre ?
Le patron de l’hôtel écarquilla les yeux.
— Pardon ?
— Est-ce que quelqu’un est venu pendant mon absence ?
— Non, monsieur, non, je ne crois pas. Vous attendiez quelqu’un ?
— Vous n’avez vu personne ?
— Non. Il y a un problème, monsieur ?
— Non, non. Tenez, dit Ari en tendant rapidement sa carte de crédit, je voudrais vous régler.
Tout en payant, il jeta des coups d’œil dehors. Son visiteur n’était peut-être pas très loin.
Une fois sur le trottoir, ne voyant personne, il se dirigea vers la gare de Reims, située à quelques rues de là, s’il se souvenait bien. À l’aller il avait pris un taxi, mais une petite marche dans le froid de l’hiver ne lui ferait pas de mal. Ari n’était pas un grand marcheur, cela n’avait jamais été son truc. Pour tout dire, il avait même horreur de ça. Mais il y avait des exceptions ; il n’était pas du genre à se complaire dans le malheur et quand il sentait venir les symptômes d’un coup de déprime, il dérogeait à la règle et soignait le mal par la marche.
Il s’engagea dans la ruelle pour rejoindre le trottoir d’en face ; à peine avait-il posé un pied sur le pavé qu’il entendit un crissement de pneus. Surpris, il s’immobilisa et aperçut à quelques mètres une voiture qui fonçait droit sur lui. Il hésita un millième de seconde. Un millième de seconde de trop, peut-être. Sauter en avant ou reculer ? Quand il opta pour la deuxième option, la voiture n’était qu’à une dizaine de mètres de lui seulement. Il y eut un nouveau crissement de pneus. La berline chassa légèrement du train arrière sur la chaussée glissante. Ari fit un bond de côté. Son dos heurta le capot d’un véhicule et il bascula par-dessus. Puis il y eut un vacarme énorme, un choc soudain, un bruit de verre brisé et de tôle froissée. Le monde se mit à tourner autour de lui. Propulsé en l’air, il sentit une douleur pénétrante au niveau de la hanche avant de retomber violemment sur le sol. Sans attendre, il se redressa et vit la berline marron s’éloigner. Il en était certain : c’était la même voiture qu’il avait vu démarrer en trombe la veille depuis la fenêtre de sa chambre. Il n’eut pas le temps de déchiffrer la plaque mais reconnut une immatriculation allemande. La voiture disparut dans une rue adjacente.
Ari se reposa un instant contre la voiture accidentée, sonné. C’était sûrement le type qui avait fouillé sa chambre. Quelqu’un en voulait à sa peau ou cherchait à l’intimider. À le dissuader d’enquêter sur la mort de Paul…
Le patron de l’hôtel, alerté par le vacarme, courut jusqu’à lui.
— Vous allez bien ? lança-t-il d’un air affolé.
— Oui, oui, ça va, répondit Ari en se massant la hanche.
— Qu’est-il arrivé ?
— Je ne sais pas. Un chauffard qui a perdu le contrôle…
— Vous avez relevé sa plaque ?
— Non.
— Restez ici, je vais appeler la police.
Ari n’avait pas envie de faire une nouvelle déposition. Une seule chose comptait à présent : rentrer à Paris et faire le point. Inutile de moisir ici. Les policiers se débrouilleraient avec le patron de l’hôtel. Il renfila sa chemise dans son pantalon et descendit la rue en boitant.
Trois quarts d’heure plus tard, il était installé dans le train pour Paris. La tête appuyée contre la fenêtre, il regardait disparaître à l’horizon la ville du sacre des rois et tentait d’oublier la douleur à la hanche qui le lançait de plus en plus.
À mesure qu’il s’éloignait de Reims, Ari n’arrivait pas à croire qu’il ne reverrait plus jamais Paul. Peut-être prenait-il seulement maintenant conscience de cette terrible réalité.